
Général Wayne Eyre
Spécial Stag
Maintenant que nous avons donné le coup d’envoi de l’année 2023, je souhaite faire le point sur l’état des Forces armées canadiennes (FAC), sur mes nouveaux domaines d’intervention et sur la voie à suivre.
Je considère toujours que notre rôle principal est de continuer à fournir une force qui assure l’excellence opérationnelle d’une manière qui reflète l’identité et les valeurs canadiennes et dont les Canadiens demeurent fiers.
Ce rôle devient de plus en plus difficile, car notre environnement géopolitique évolue à un rythme rapide, et nous devons rester déterminés à faire progresser cette institution pour atteindre nos objectifs. Nous avons tous un rôle à jouer à cet égard.
Nous vivons à une époque où la sécurité mondiale se détériore, où les normes, les comportements et les relations qui ont sous-tendu l’ordre international fondé sur des règles sont menacés par des acteurs hostiles très compétents.
En termes simples, le Canada et ses alliés sont confrontés à un environnement de menace multidimensionnelle qui mine la démocratie et ses institutions, lesquelles sont attaquées par des adversaires qui cherchent à établir un ordre fondé sur l’autoritarisme.
Nos Forces armées, en tant qu’institution chargée de défendre notre pays, ont un rôle de plus en plus important à jouer alors que la sécurité mondiale décline autour de nous, et dans les années et décennies à venir, nous serons de plus en plus appelés à agir. Cette dure réalité nous donne un objectif, un but et un sens.
Qu’est-ce que cela signifie pour nous? Premièrement, nous devons nous rappeler que le rôle des militaires dans une démocratie, la marque du professionnalisme militaire, est de servir la volonté du peuple représenté par ses représentants dûment élus.
Cela signifie que, bien que nous soyons le reflet des normes et valeurs culturelles de la société canadienne, la confiance et les responsabilités supplémentaires que nous avons exigent un niveau de conduite plus élevé et irréprochable.
Ensuite, cela signifie faire ce que nous pouvons, dans notre propre sphère d’influence et de contrôle, pour être les meilleurs dans notre profession, pour être des leaders et des coéquipiers solides, tout en prenant soin de nos subordonnés, des autres et de nous-mêmes.
Cela signifie être individuellement prêt à faire face à tout ce qui peut arriver et faire preuve de résilience face aux défis. En effet, je ne me fais aucune illusion quant aux défis que nous devons relever en tant qu’institution. En fait, je me rappelle que la CAF a toujours eu des défis à relever tout au long de son histoire et, alors que nous faisons face aux défis d’aujourd’hui, nous ferions bien de nous rappeler les bonnes choses et les énormes forces qui nous définissent en tant que membres de la profession des armes.
Notre objectif honorable, notre engagement inébranlable, notre travail d’équipe et notre camaraderie, ainsi que notre service désintéressé durable n’ont jamais été aussi importants à mettre en valeur qu’aujourd’hui.
Pour moi, tout cela signifie canaliser ma propre énergie et ma bande passante vers quatre domaines d’intervention, ou axes d’effort, qui, selon moi, sont nécessaires pour reconstruire notre état de préparation et les forces armées.
Il s’agit de la Reconstitution, de la Culture, des Opérations et de la Modernisation. Je ne les qualifie pas de « priorités,” car ils sont tous étroitement liés, voire se soutiennent mutuellement, et doivent progresser en parallèle, les activités individuelles au sein de ces domaines montant et descendant sur la liste en fonction des circonstances.
RECONSTITUTION
La reconstitution est un terme que beaucoup d’entre nous, militaires, connaissent bien. Nous appliquons souvent des mesures de reconstitution aux niveaux tactique, opérationnel et stratégique, selon les besoins, pour ramener les unités à un niveau acceptable de préparation.
L’intention de la reconstitution des FAC est de reconstruire notre force de personnel en se concentrant sur le recrutement, la rétention et la modernisation de notre système de personnel. Le facteur limitant, une ressource stratégique, est le leadership de niveau intermédiaire, qui doit être bien ciblé sur les activités de grande valeur.
Il n’y a pas de solution miracle pour la reconstitution, pas d’activité unique que nous pouvons arrêter de faire pour réorienter la capacité. Au contraire, chaque activité que nous entreprenons, chaque nouvelle tâche qui nous est proposée, chaque nouvelle politique, doit être envisagée sous l’angle de la reconstitution.
Qu’est-ce que cela nous coûte si nous le faisons? Quelle valeur relative cela ajoute-t-il? Quels sont les risques et les impacts si nous retardons ou arrêtons de le faire? Comment cela sert-il l’institution dans son ensemble? Je vous demande à tous, en particulier à ceux d’entre vous qui occupent des postes de commandement, de porter un regard critique sur nos activités.
Il y a de nombreuses initiatives en cours qui soutiendront la Reconstitution, trop nombreuses pour être énumérées ici. La modernisation du recrutement se poursuit à un rythme soutenu, en se concentrant sur la rationalisation du processus, y compris les examens médicaux et l’expérience en ligne, et en augmentant les activités de publicité et d’attraction.
Nous avons récemment ouvert toutes les professions aux résidents permanents, et dans les semaines qui ont suivi, nous avons reçu des milliers de candidatures de la part de ceux qui souhaitent offrir un service significatif à leur nouveau pays.
En outre, au-delà du recrutement, des travaux sont en cours pour accroître l’efficacité de la filière de formation, réduire les temps d’attente et examiner des moyens créatifs d’obtenir des qualifications individuelles, tout en abordant ce que j’aime appeler notre « qualité de service » par le biais d’une série d’initiatives de rétention. À tous égards, tout est sur la table.
CULTURE
La culture de notre institution est un autre domaine sur lequel je continue, comme vous, à mettre l’accent. Notre culture est une manifestation tangible de ce que nous sommes en tant que militaires. Nous devons être une armée qui reflète et respecte les valeurs et les attentes professionnelles énoncées dans l’Éthique des Forces armées canadiennes: La confiance au service, publié l’an dernier. Je vous demande à tous de l’intégrer dans le tissu de vos vies.
Notre culture, à juste titre à mon avis, a fait l’objet d’un examen minutieux au cours des dernières années. Il est essentiel d’avoir un lieu de travail inclusif, respectueux et sûr, où chacun se sent à sa place et peut contribuer à notre mission plus large de défense du pays.
De même, nous devons inculquer davantage une culture de l’innovation, de la tolérance au risque calculé, de l’apprentissage continu, de la sensibilisation à la sécurité et du recadrage de notre compréhension de la situation. Dans le même temps, notre culture doit continuer à promouvoir le service désintéressé, la volonté d’aller au-devant du danger pour accomplir le travail et la protection des autres.
Des actions concrètes sont en cours au niveau stratégique ainsi que des activités de base au niveau des unités, et nous sommes tenus responsables de nos progrès. Cela inclut la mise en œuvre continue des recommandations de l’examen externe complet indépendant et la récente mise à jour de nos efforts au Parlement.
Il est certainement trop tôt pour déclarer le succès, et je sais qu’il y aura des échecs et des faux pas en cours de route — nous sommes, en fin de compte, une organisation humaine — mais nous devons continuer à apprendre et à progresser, prendre la voie la plus élevée et rester au-dessus de la mêlée.
Nous devons continuer à aller de l’avant en nous concentrant sur cet aspect existentiel de notre profession, en nous rappelant toujours que nous devons nous adapter et accepter les risques pour réaliser des changements significatifs, et dans tout ce que nous faisons, nous devons servir le Canada conformément aux attentes des Canadiens, quelle que soit leur évolution, et en fin de compte toujours faire ce qui est juste.
OPERATIONS
Alors que nous reconstituons et faisons évoluer notre culture, la demande opérationnelle n’a pas diminué et ne diminuera pas. Cela dit, je considère chaque opération en cours et chaque nouvelle demande sous l’angle de la reconstitution.
Ce faisant, nous devons nous poser plusieurs questions: Que pouvons-nous générer de manière réaliste et obtenir l’effet stratégique nécessaire? Quel est le coût d’opportunité? Comment pouvons-nous maximiser les possibilités de déploiement pour nos membres juniors tout en continuant à faire croître les FAC? Quelles activités ou autres opérations sommes-nous prêts à cesser pour pouvoir en entreprendre de nouvelles?
La situation en Ukraine en est un bon exemple. Il s’agit, littéralement, de la ligne de front pour la défense de l’ordre international fondé sur des règles — ou véritablement de la ligne de front de la liberté — et nous devons maintenir notre détermination à faire notre part, sans élargir la guerre, pour voir l’agression russe vaincue.
Pour ce faire, nous devons continuer à faire évoluer notre formation, notre équipement et nos autres soutiens à mesure que la guerre progresse. Il ne s’agit pas d’un engagement à court terme.
Rééquilibrer notre présence dans le monde en fonction des priorités nationales est un défi constant. La stratégie indo-pacifique publiée récemment en est un autre exemple, où nous serons très ciblés dans ce que nous déployons, quand nous le faisons et qui nous déployons, en particulier en équilibrant les capacités de la Marine royale canadienne entre cette région et le reste du monde.
En plus de cette exigence d’équilibre, nous continuerons à être fortement engagés en Europe avec les opérations UNIFIER et REASSURANCE, et de plus en plus avec notre présence et notre expertise dans l’Arctique et dans d’autres domaines de la défense continentale. Ce ne sera pas facile, et nous ne pourrons pas satisfaire tout le monde, car tout le monde veut plus de FAC.
MODERNISATION
Nous ne pouvons pas être tellement absorbés par les défis d’aujourd’hui que nous hypothéquons notre avenir, et c’est pourquoi la modernisation des FAC continue d’être un domaine d’intérêt. Nous devons continuer à mettre en œuvre les plans énoncés dans la politique de défense du Canada, « Fort, sûr et engagé,” ainsi que ceux qui font partie de la modernisation de NORAD.
Nous devons poursuivre nos efforts pour créer une force numérique, fondée sur des normes et des technologies qui permettent aux FAC de mener des opérations conjointes et des opérations avec nos partenaires et alliés.
Nous devons poursuivre l’élaboration de nos futurs concepts opérationnels et de la structure de nos forces et renforcer le maintien en puissance des opérations en tant que fonction qui sous-tend toutes les opérations au pays et à l’étranger.
La guerre de la Russie en Ukraine nous a permis de tirer de nombreuses leçons sur le caractère changeant et la nature durable de la guerre. Nous devons intégrer ces leçons, du niveau tactique au niveau stratégique, avec un sentiment d’urgence.
Cela montre l’absolue importance de la prochaine mise à jour de la politique de défense, qui a été demandée au printemps dernier. Je crois fermement qu’elle doit aborder une foule de préoccupations critiques qui sous-tendent notre capacité à défendre le Canada, les intérêts canadiens et la prospérité nationale dans les dangereuses années à venir.
CONCLUSION
Nous sommes à l’aube de changements considérables, dans chacun de ces quatre domaines d’action et au-delà, et ces changements ne seront possibles que si vous, et ceux qui, comme vous, sont dévoués, servent notre pays. Le service militaire n’est pas facile, mais il offre un but transcendant – faire partie de quelque chose de plus grand que soi et véritablement axé sur le bien commun.
Nous faisons face à des temps difficiles, des temps qui exigent de la résilience et de l’engagement. Je m’engage à faire tout ce que je peux, avec le temps qu’il me reste à servir, pour améliorer constamment nos forces armées, vos conditions de service et, en fin de compte, notre capacité à réussir en opérations et en guerre.
Votre pays aura de plus en plus besoin de vos services à l’avenir, même si tous ne mesurent pas encore pleinement l’ampleur des menaces croissantes. Je vous demande à tous de prendre soin de vos subordonnés et collègues, de vos familles et amis, et de vous-mêmes – vous faites tous partie d’une force du bien dans un monde dangereux.
En fin de compte, nous continuerons à être appelés à faire beaucoup de choses, mais nous ne devons pas oublier que la manifestation ultime du rôle d’un militaire est de combattre et de gagner.
Si nous nous concentrons vraiment sur cet objectif, nous réussirons tout en poursuivant l’héritage sacré de service de ceux qui nous ont précédés.
